Yi king hexagramme 57

Un livre, une langue, une traduction. Enfin, c’est comme cela que se présentent les livres en général. Il existe pourtant des langues dans lesquelles la traduction ne peut pas être envisagée ainsi, c’est le cas du chinois qui est composé de caractères polysémiques. La compréhension du texte ne passe alors donc pas exclusivement par la connaissance des caractères qui le compose.

Dans le cas du yi jing, les obstacles sont encore plus nombreux : le texte est écrit en chinois classique, la langue est sèche, les références historiques ou symboliques  comprises dans le texte n’ont pas toujours traversé les siècles. Rien d’étonnant alors, que l’on se trouve avec des traductions très différentes d’un ouvrage à l’autre. Sans entrer dans le débat ici des qualités respectives des divers travaux disponibles, traduire le yi jing requiert une part d’interprétation dont l’impact n’est pas négligeable sur le sens du texte livré.

Les livres de yi jing proposent souvent une traduction du texte chinois d’origine mais surtout des commentaires : commentaire du jugement, de l’image et des lignes de l’hexagramme. Ce sont les commentaires qui intéressent le plus ceux qui sondent l’oracle car ils conditionnent l’usage que nous ferons du livre puisque c’est sur lui que nous nous appuierons pour décrypter l’hexagramme obtenu.

Le contenu des commentaires peut varier grandement. Il s’appuie selon les auteurs plus ou moins sur l’acception commune, le sens qu’on s’accorde en général à donner à un hexagramme, une ligne, … On constate éventuellement des écarts qui varient peu ou prou suivant le penchant de l’auteur pour l’orthodoxie, sa culture, son époque. L’ouvrage de Yi King, le livre des transformations, de Richard Wilhelm est indéniablement l’œuvre d’un occidental européen de la première partie du XXème siècle. Cela se perçoit dans le choix des termes, certaines valeurs qui sous tendent les commentaires. Ce n’est pas un problème si le lecteur est conscient de ce biais. Il existe des traductions ineptes – de mon point de vue – mais il y en a beaucoup d’autres qui méritent définitivement notre intérêt.

Il existe aussi une toute autre espèce d’auteurs : ceux qui revisitent le texte de fond en comble et en offrent une interprétation personnelle. Quitte ou double : le talent de l’auteur définit l’intérêt et la validité du propos.

Choisir ses sources

Les variations de traduction et d’interprétation peuvent désarçonner un lecteur en recherche de réponses à une question particulière. Nous sommes probablement nombreux à avoir rêvé d’une bible, d’une source de référence unique, exacte, libre de toute extravagance et d’inexactitudes, au fait des dernières découvertes archéologiques, à la pointe de l’histoire.

A ma connaissance (prudence de principe), ce joyau n’existe pas, mais malgré les écarts parfois substantiels qui distinguent une version d’une autre, on trouve dans assez d’ouvrages des choses intéressantes. Et il y a des auteurs avec lesquels on se sent en meilleur compagnie que d’autres, certains nous parlent d’autres non. D’une personne à l’autre, la liste des chouchous varie.

Pour garder la souplesse nécessaire à l’interprétation, l’essentiel, trop souvent ignoré, c’est de savoir qu’il n’existe pas de version absolument juste et satisfaisante

Étudier le yi king c’est polir sa pierre, tirage après tirage. C’est ainsi que se forme une compréhension profonde et personnelle des hexagrammes, que notre vision du monde se construit et se déconstruit.

Variations d'interprétation autour du 57.2

Dans la présentation du livre de Prendre les bonnes décisions avec le Yi King, de Nathalie Chassériau, j’évoque l’interprétation qu’elle fait de la deuxième ligne de l’hexagramme 57 – le doux. En fait, les références psychologiques évidentes de son propos m’ont troublée au point que j’ai repris chacun des ouvrages de yi jing dont je dispose en anglais et en français pour comprendre comment elle en était arrivée à sa proposition. Pour en arriver à la conclusion que rien ne se perd, tout se transforme.

Je reprends donc ici pour vous quelques produits de ma chasse du 57-2. Je n’en ai retenu que quelques uns pour éviter un article trop long. Postulant que chaque auteur est influencé par son époque, les extraits sont classés par ordre chronologique.

Richard Wilhelm (1924) - hexagramme 57.2

Texte : Pénétrer sous le lit. On a besoin de prêtres et de magiciens en grand nombre. Fortune. Pas de blâme.

Commentaire : Il arrive qu'on ait affaire à des ennemis cachés, à des influences insaisissables qui restent blotties dans les angles les plus obscurs et, de là, exercent un effet de suggestion sur les êtres. Dans de tels cas, il est nécessaire de poursuivre ces éléments jusque dans les recoins les plus secrets pour établir de quelles influences il s'agit - c'est le rôle les prêtres - et, pour les écarter - c'est le rôle des magiciens. En raison précisément de leur caractère anonyme, ces menées requièrent une énergie particulièrement inlassable qui pourtant trouve sa récompense. Car une fois que de telles influences incontrôlables ont été mises en lumière et stigmatisées, elles perdent leur pouvoir sur les hommes.

Richard Wilhelm, Le livre des transformations, p. 260

Jou Tsung Hwa (1983) - hexagramme 57.2​

Texte : Pénétrant sous le lit. Vous faites appel à de nombreux prêtres et magiciens. Bonne fortune. Rien à blâmer.

Commentaire : Soudainement, les gens semblent un peu froids avec vous sans raison apparente. Vous vous en ouvrez à un ami et il vous répond de façon vague et inamicale. Vous persistez et demandez avec insistance. Vous finissez par apprendre que quelqu'un ment à votre sujet en déformant la réalité, de sorte que plus personne ne sait si l'on peut vous faire confiance. Vous révélez le pot aux roses en fournissant des preuves, les autres sont à nouveau à l'aise avec vous.

Que chacun s'occupe de ses affaires.

Votre talent est comme une perle au fond d'une mer profonde.

Jou, Tsung Hwa, The tao of i ching, traduction N. Mourier

 Da Liu (1975) - hexagramme 57.2​

Texte : Vent sous le lit. On a recours à de nombreux devins et sorciers. Bonne fortune. Pas de blâme.

Commentaire : L'honnêteté vous permettra d'arriver à vos fins. Si vous travaillez, vous serez promis (vous aurez peut-être un poste requérant d'écrire ou de parler). Si vous êtes étudiant, votre travail sera salué. Il est également possible que vous preniez part à une cérémonie religieuse.

Da Liu, I ching coin prediction, traduction N. Mourier

J. P. Schlumberger (2èmeédition, 1987) - hexagramme 57.2​

Commentaire : Le texte nous suggère qu'il [le deuxième trait] perçoit "ce qui est caché sous le lit", qu'il est nécessaire, à son niveau, de neutraliser les tendances invisibles, qu'elles soient occultes ou simplement malveillantes.

J. P. Schlumberger, Yi king - Principes, pratique et interpétation

Nathalie Chassériau (2004) - hexagramme 57.2​

Texte : Les mauvaises influences doivent être éliminées.

Commentaire : Il est question ici d'influences invisibles mais non moins prégnantes. Qu'il s'agisse de conditionnements hérités du passé ou de personnes malveillantes en chair et en os, ce sont des liens qui n'ont plus lieu d'être. En faisant venir au jour les vieilles blessures, vous réussirez à dénouer les nœuds qui entravent encore votre marche.

Nathalie Chassériau, Prendre les bonnes décisions avec le Yi King

Liu Ming (2005) - hexagramme 57.2​

Pour la bonne bouche, je termine ce tour d’horizon par la traduction de l’interprétation de Liu Ming, un Américain de la côte ouest, taoïste pratiquant.

Texte : Secret [dans une note, l'auteur indique que "vent sous le lit" évoqué dans le texte du trait fait probablement référence aux esprits apparaissant dans les rêves prémonitoires]. Nombreux yong shi [devins de la cour] et wu [femmes medium]. Auspicieux. Pas de difficulté.

Commentaire : Consultez de nombreux devins. En croisant les conseils de plusieurs, ou même de nombreux conseillers occultes, vous verrez alors plus clair et pourrez agir sans risque.

Liu Ming, Changing, traduction N. Mourier

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