Le livre de la simplicite par Ottino

Les amateurs francophones de yi jing et en particulier de liu yao yi gua 六爻易卦 (ou wen wang ba gua ou encore yi jing taoïste) connaissent généralement Le livre de la simplicité – Yi Jing taoïste, de Hiria Ottino.

Pour tous ceux qui ne connaissent pas encore, en voici une revue.

Le titre du livre exhale un charme indéniable : tacitement, le terme de simplicité évoque une vision claire du monde, celle que produit une compréhension de l’univers, du tao. Cette connaissance qui s’impose  quand l’esprit n’est plus embarrassé par les scories de l’ignorance.

Une fois l’ouvrage parcouru, le titre prend un sens plus ambigu car la voie de la simplicité n’est pas simple malgré tous les efforts de pédagogie des auteurs. Revue en détail.

Le livre de la simplicite par Ottino
Éditions Trédaniel, 1998, ISBN 978-2844450500, 384 pages

Yi jing taoïste

Le titre secondaire Yi jing taoïste mérite d’être rapidement commenté : il existe de nombreuses approches traditionnelles du yi jing.Alors que signifie d’adjonction de l’adjectif « taoïste » ?

Le plus souvent, l’approche connue en occident est qualifiée de « confucéenne », c’est celle des textes de R. Wilhelm,  J. P. Schlumberger, C. Javary et consorts. Elle est liée à Confucius en référence au fait historiquement faux qu’il en aurait rédigé les commentaires (voir à ce sujet l’excellent ouvrage de Wang Dongliang).

Si le wen wang ba gua / liu yao yi gua (LYYG) est considéré comme taoïste c’est parce que les mécanismes d’analyse reposent sur :

  • les cinq éléments,
  • les cycles des éléments,
  • les stems (troncs) et les branches – concepts généralement attribués aux taoïstes.

Dans cette approche, on ne base pas l’interprétation des hexagrammes sur les différents commentaires, textes et jugements des livres évoqués plus haut.

Ce que vous trouverez dans ce livre

Le livre de la simplicité est un ouvrage à visée pédagogique, rédigé à quatre mains puisqu’il est cosigné par le Professeur de médecine Yang Zu-Hui le le mentor de H. Ottino tout au long de son apprentissage. 

Dans les cinquante premières pages, l’auteur retrace son parcours et la manière dont il a découvert le sujet au cours de ses années d’études philosophiques puis médicales en Chine. Il offre ensuite une présentation de l’organisation de l’ouvrage et des données introductives. Les informations de type biographiques se révèlent importantes pour juger du cadre dans lequel le savoir s’est acquis et l’ouvrage rédigé. Elles permettent en particulier de se familiariser avec un contexte d’apprentissage qui nous est tout à fait étranger et font saillir des points importants de la pensée chinoise exprimés, une fois n’est pas coutume, en des termes inhabituels qui rendent un son étrange et juste.

La pensée est culturellement contrainte et limitée par les possibilités de la perception.

L’Univers est produit par un processus continu résultant d’un enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes répondant à une certaine séquence et aboutissant à un résultat déterminé.
Exprimée autrement, la conception chinoise taoïste de l’univers, c’est-à-dire de la totalité, est une conception dynamique qui, selon la doctrine du Tao, s’auto-génère.

Hiria Ottino, p. 46

Il en découle une vision de la notion de « destinée » tout à fait différente de la nôtre et qui propulse les arts divinatoires, dont le yi jing fait partie, au rang d’outils activement fonctionnels.

Incidemment, et quoique l’auteur ne l’évoque pas, cela renvoie au concept de « germes » si prégnant dans la pensée asiatique.

L'introduction

Elle se termine par quelques pages d’explication des termes clés qui sont bienvenues. L’auteur a eu la bonne idée d’indiquer pour chaque terme le pinyin et les caractères chinois correspondants. Y sont exposés rapidement les cinq éléments, les branches et les types d’interaction possibles. Ceux qui ont déjà quelques notions de feng shui, bazi ou de tout autre art classique impliquant ces concepts, se sentiront peut-être un peu perdus devant le choix des termes proposés. Ainsi, le terme « clash » souvent utilisé en référence à l’interaction de deux branches opposées ( you/ mao par exemple) est traduit par « affronter » ou « affrontement », ce qui n’est ni plus juste ni plus faux mais déroutant si on est habitué à d’autres traductions.

A ce stade, le lecteur est bien inspiré de se créer une liste d’équivalences pour une lecture plus confortable. Attention : quelques erreurs se sont glissées dans la liste et on voit par exemple p. 51 jia pour shen, ji pour si ; les tableaux proposés en pages 137, 139 et 141 vous permettront de pister les anomalies, ils sont par ailleurs beaucoup plus pratiques à utiliser.

Recueil de données

La section comprend 3 parties dont :

  • Les explications nécessaires pour monter un hexagramme avec les pièces de monnaie.
  • Un chapitre consacré au mei hua yi shu 梅花易数 (la Fleur de prunier, appelée ici « la méthode d’épanouissement ») qui explique comment obtenir un hexagramme à partir d’événements extérieurs.
    Les explications sont très claires et illustrées par des exemples succincts plus ou moins explicites. Ainsi, la conclusion proposée page 64 peut sembler obscure autant que gratuite si on ne sait pas que l’hexagramme 44 peut être l’indice d’une relation de couple délicate. Là aussi quelques erreurs se sont glissées dans le texte, ainsi p. 68, alinéa 2 il faut lire trigramme [li2] et non kan.
  • Les premiers pas de la technique avec:
    • L‘affectation des branches à chaque yao (trait) de l’hexagramme. Les grands débutants peuvent éviter le détail de la méthode et se reporter aux tables insérées pages 355 à 372, c’est d’autant plus vrai que quelques malheureuses coquilles compliquent la compréhension du texte.
    • La présentation des différents éléments d’analyse à mettre en place. Les explications de fu ling et de fan ling sont les plus complètes que j’aie jamais vues, même si là encore la présentation n’est pas simple et oblige à plusieurs allers-retours dans le texte.
  • Viennent ensuite :
    • Les explications fondamentales sur les trigrammes et les éléments associés, assorties de commentaires intéressants, la liste des attributs des trigrammes est très complète. Une étude patiente permet de se familiariser avec les trigrammes, ce qu’ils peuvent représenter, comment ils se manifestent à nous. Ces quelques pages méritent d’être extraites et conservées pour référence car vous en aurez un usage courant si vous décidez de vous lancer dans le LYYG ou le mei hua yi shu.
    • Des explications détaillées sur le symbole attaché à chaque yao (trait) de l’hexagramme, c’est la liste la plus détaillée que je connaisse. Dans les ouvrages courants, on s’arrête généralement à des principes très génériques (évoqués par H. Ottino p.248-9), associant le premier trait au peuple, au début, à ce qui est en bas, ce qui est dessous.
      Ici, les auteurs sont allés plus loin en déclinant la compréhension possible pour différentes catégories : alliés, parenté, corps, maladie, temps, construction, activités, voyages.
      Si l’on rapproche les explications données par H. Ottino de la définition fondamentale, on comprend mieux les explications données. C’est un exercice de réflexion et de compréhension que chaque lecteur gagne à faire. A conserver également pour référence.

Cette section se conclue par un chapitre qui commence par un exemple d’interprétation fondé sur l’image des hexagrammes assez formidable dans sa simplicité démonstrative  (p. 117). Il  se poursuit par la présentation de 34 hexagrammes particuliers répertoriés en quatre catégories (clash, combinaison, changement et permanence). Les commentaires ajoutés pour chaque catégorie sont rares.

Intervention de la temporalité - Intervention des efficaces

Avec ces sections, nous entrons dans le vif du sujet. C’est le cœur de l’ouvrage mais aussi la partie  la plus ardue car chaque élément est exposé de manière indépendante, sans qu’on saisisse l’usage qui en sera fait dans l’interprétation. Il faut à ce stade prendre l’information comme elle est donnée sans extrapoler sur son usage futur. Les informations données sur les animaux (p. 173 à 182) et les parentés (p. 195 à 200) sont riches, fournies et, pour ces dernières, tout à fait excellentes par leur précision et leur clarté.

Récapitulation

La section reprend méthodiquement les points principaux et propose une succession des actions à conduire pour monter l’hexagramme et l’interpréter. On reboucle ici avec des idées exposées dans les sections précédentes avec un niveau de détail inattendu à ce stade de l’ouvrage (cf. p. 248-249 par exemple). Cette section est toutefois un vadémécum précieux qui fait figure de planche de salut tant que le contenu des précédents chapitres n’est pas assimilé. A ce stade, un lecteur débutant s’en sortira s’il consent à faire marche arrière dans sa lecture et à reprendre les précédents chapitres point par point.

Actualiser

Cette section met en avant l’un des points forts du LYYS : sa capacité à projeter l’hexagramme dans le temps pour lire l’évolution des germes donc des situations. Les explications sont claires et à ce point du livre le lecteur s’est suffisamment familiarisé avec l’approche des auteurs pour se saisir de l’information.

Aperçu des questions posées

La sectionpropose de nombreux exemples d’interprétation ainsi que des informations contextuelles sur une dizaine de thèmes usuels : météorologie, maladie, application de la méthode dans le domaine des RH, travail et activités personnelles, procès, rentrées d’argent, relations interpersonnelles, déplacements et retours (date de retour d’un déplacement, situation de la personne concernée). Les domaines couverts sont classiques et on les trouve généralement dans les ouvrages de ce type.

Le livre se clôt par une conclusion de l’auteur qui souligne, avec à propos, l’absence de complaisance de sa démarche et insiste avec justesse sur la richesse du LLYG. Suivent quelques annexes pratiques dont un glossaire avec les termes chinois (pinyin) et leur définition et quelques tables de référence.

En conclusion

L’un des grands intérêts et mérites du livre d’Ottino réside dans le fait que l’auteur ne fait pas partie du vaste circuit habituel qui gravite autour de ces sujets. Si fondamentalement il ne dit rien de réellement différent de ce qui se dit d’ordinaire mais il brasse la matière d’une autre façon révélant ainsi des aspects inattendus. Les principes ne sont pas nouveaux mais leur présentation offre de nouvelles perspectives.

Le livre du Prof. Yang Zu-Hui et de H. Ottino est une somme qui mérite et requiert de nombreux allers-retours entre la lecture et l’expérience. La matière est exposée de manière complète, et certains points y sont documentés comme nulle part ailleurs à ma connaissance en français ou en anglais.

Le sujet est complexe, c’est ce qui fait notamment sa force et sa richesse. On comprend donc que sa présentation soit délicate mais la manière semble ici un peu compliquée et manquer de pédagogie. Ceux qui connaissent déjà la méthode y trouveront beaucoup d’éclairages intéressants, les vrais débutants sortiront probablement un peu sonnés de leur lecture.

C’est un livre qui ne prétend pas s’adapter à ses lecteurs, en tout cas pas au point de sacrifier le contenu. Il exige d’eux qu’ils aillent au charbon. On m’a longtemps demandé d’enseigner le LYYG avant que je finisse par me lancer. Mais j’ai renoncé à rédiger un livre sur le sujet, je peux donc apprécier le travail des deux auteurs. Je salue leur courage et, au passage, celui de leur éditeur.

Autres sources

Sur le même sujet, voir aussi :

  • Le site superiching.com offre une présentation plus lisible mais en anglais des principes de la méthode et de très nombreux cas sont documentés avec précision. Alex Chiu a choisi une terminologie personnelle mais qui s’assimile assez bien avec le temps.
    Le personnage est controversé, comme le serait quiconque annonce avoir mis au point un anneau garantissant l’immortalité. Mettez de côté les excentricités et les excès de certaines idées de l’auteur et regardez de plus près la matière fournie sur le yi jing. Très peu de gens se donnent la peine d’exposer publiquement leurs interprétations, encore moins d’en démonter les mécanismes de manière pédagogique ou démonstrative. A. Chiu a la mérite de la transparence dans un domaine où chacun garde jalousement ses secrets et ses astuces par devers soi.
  • Dans les années 2000, Robert Bereny avait publié sur un forum yahoo une introduction au LYYG. Une recherche sur internet doit vous permettre d’en trouver la copie … quelque part.
  • Dans The authentic i ching: the three classic methods of prediction (ISBN 978-1842930526), le Dr Wang Yang et Jon Sandifer abordent le LYYG mais la présentation est trop rapide pour être utile à un débutant ou présenter un intérêt quelconque pour un lecteur déjà averti. Leur livre reste en revanche intéressant pour les approches de types Fleur de prunier.

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