esprits

Esprits, êtes-vous là ?

Il est peut-être utile d’indiquer ici que la culture chinoise fait une place large dans sa littérature et ses rites à une catégorie particulière de personnages : les fantômes. Bienfaisants, en errance, troublés par quelque dette ou tourmentés par une querelle, … ils occupent une place de choix dans les textes où ils frayent très banalement avec le monde ordinaire. Si dans notre littérature, au moins la littérature classique, les fantômes font partie d’un genre particulier et clairement à part, cette « ségrégation » n’est pas de mise dans les récits chinois. Leur fréquentation n’est pas recherchée, ils inspirent de la crainte et de la peur mais ils ont du moins une bonne raison d’exister.

La cohérence [du] système de croyances [des Chinois] est remarquable et, pour l'apprécier, il faut rappeler que l'ordre de l'univers repose sur l'alternance ou le jeu de deux principes : le Yin et le Yang. Le Yin est le principe femelle de l'obscurité, du froid, de l'inertie, de l'humidité. Le Yang est le principe mâle de la clarté, de la chaleur, du mouvement, de la sécheresse. En se séparant, Yin et Yang ont formé la terre et le ciel ; en se mélangeant, ils ont donné naissance à toutes les créatures. Or cette dualité cosmique se retrouve dans le microcosme qu'est l'homme : il possède et est animé par deux sortes d'âmes, spirituelle et sensitive, qui l'animent et coexistent en lui durant sa vie.

Au Yang correspond l'âme supérieure ou spirituelle (hun), composée de trois principes subtils : le souffle (qi), l'essence (jing), et l'esprit (shen). Au Yin correspond l'âme inférieure ou sensitive (po), faite de sept passions ou affects troubles et opaques : joie, colère, chagrin, crainte, amour, haine et désir.

Après la mort, l'âme supérieure se dissocie de l'âme inférieure : elle quitte le corps et devient shen, esprit transcendant. Les shen ou esprits (...) sont généralement bienfaisants : pour obtenir la pluie, de bonnes récoltes, une protection, on leur adresse, assorties d'offrandes, des prières qui restent rarement inexaucées.

Quant à l'âme sensitive, elle reste dans le corps après la mort, puis, selon sa force, s'éteint et disparaît après un temps plus ou moins long, et le corps tombe en poussière. Mais c'est cette force non épuisée de l'âme sensitive qui, devenant gui (fantôme, démon, spectre, monstre, etc.) va malgré la mort pouvoir réanimer un cadavre ou son double, ou animer des objets en contact avec lui, suscitant par là des prestiges, des sortilèges, des apparitions. Et c'est ce fantôme ou démon qui, malgré la séparation des deux mondes du Clair et de l'Obscur, ira visiter, taquiner, turlupiner ou tourmenter les humains. Dans l'optique bouddhique, ces gui (traduction chinois du sanskrit preta) représentent des âmes inférieures, faméliques, rôdant plus ou moins loin de leur ancienne enveloppe physique, dans l'attente d'une réincarnation.

Il s'ensuit que les fantômes ou démons, ces énergies cherchant à s'investir dans une forme quelconque, qui peut être directement celle d'un spectre aussi bien qu'un objet ou simulacre, fréquenteront volontiers le voisinage des tombes, lesquelles en Chine ne sont pas groupées en champ clos. (...) Dans tous les cas où des manifestations insolites, bizarres ou funestes, troublant l'ordre humain, se produisent, des mesures d'apaisement s'imposent, et les diverses cérémonies funéraires sont effectuées dans ce but.

Lorsqu'on procède aux funérailles, le mort, lui, part pour un voyage et pour une vie nouvelle, et l'on essaie de lui faciliter les choses. A l'époque archaïque, on lui faisait des sacrifices importants, proportionnels à son rang social, et probablement sanglants (...). Au cours du temps, la coutume s'adoucit et se perpétua par des substituts : on mettait dans les tombes des statuettes, figurines et reproductions d'objets divers en terre cuite (...), en bois ou en papier. Ainsi, afin que le mort ne fût pas pris au dépourvu dans l'autre monde, ou lui fournissait la réplique, en papier et en miniature, des ustensiles indispensables à son existence : meubles, objets courants, mais aussi vêtements, parures, sans oublier le nerf de la guerre, des liasses de papier-monnaie, répliques des "vrais" billets de banque. Toutes ces offrandes, fort économiques pour les donateurs (...) l'étaient aussi par leur mode d'expédition : il suffisait de les brûler pour qu'elles parvinssent instantanément au destinataire ; par ce geste (...), la communication est établie, niant toute distance, entre les vivants et les morts.

Jacques Dars poursuit en expliquant dans quelles circonstances et pour quelles raisons les « morts malheureux » restent vifs, mais nous laisserons ceux d’entre vous que le sujet inspirent poursuivre la lecture du texte dans son jus.

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